Émancipation et culture numérique

Publié le 19 09 2022 | Mis à jour le 01 05 2024

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Le terme de « culture numérique » est de plus en plus largement employé, souvent avec des sens différents, ou pour des contextes divers. Il sera envisagé ici comme une forme de « critique numérique », ce qui est loin de vouloir dire qu’on n’aime pas le numérique ou qu’on le rejette. L’approche proposée ici pour la culture numérique est celle d’un regard critique porté à la fois comme une réflexion sur les structures du numérique et une réflexivité sur le positionnement de chacun et chacune par rapport aux usages.

Par Hervé Le Crosnier, éditeur chez C&F éditions après avoir été bibliothécaire et enseignant-chercheur à l’université de Caen.

Il ne s’agit pas de faire un tour exhaustif de ce que recouvre une approche globale de la culture numérique. En quelques années, le nombre de publications pouvant se rattacher à cette approche s’est largement multiplié, couvrant de vastes domaines, depuis l’art numérique jusqu’aux approches critiques de l’économie du numérique, en passant par un regard psychologique sur les usages et les usagers [1]. L’objectif est de montrer aux personnes qui s’intéressent à l’émancipation individuelle et collective qu’elles ont intérêt à se plonger dans la culture numérique parce que la numérisation du monde est devenu un phénomène si important et tangible que toute volonté de changer le monde doit s’emparer de ce secteur, d’en comprendre les ressorts, du côté des plaisirs comme de celui de la contestation des nouveaux pouvoirs, ou encore de l’enjeu géopolitique du numérique.

Rappelons d’abord que la stratégie de l’évitement ne nous mènera nulle part : si plus de 4 milliards d’humains sont adeptes du smartphone, c’est bien qu’ils y trouvent quelque chose d’important pour leur vie, et pas seulement parce qu’on leur impose. Et si les mafieux, les services secrets et les méga-entreprises du secteur se complaisent dans l’arnaque (les rançongiciels, la surveillance des usagers, l’hameçonnage des individus crédules et le spam), dans la cyberguerre ou dans la dénonciation organisée et mondialisée des acteurs et des actrices de l’émancipation, toute volonté de changer le monde doit intégrer cet état de fait, trouver les voies de recours, les politiques adaptées de libération. Et on peut d’ores et déjà prédire que le refus du numérique n’est pas l’axe porteur d’une telle stratégie, compte tenu des multiples insertions du numérique dans nos vies et dans les structures de la société. Refuser tel ou tel média social comme Facebook ou TikTok est possible, mais la numérisation du monde va bien au-delà de ce type d’usages individuels. Refuser la disparition des travailleurs humains, notamment dans les services publics, est nécessaire, mais elle n’est pas équivalente à refuser que des services numériques soient également présents et puissent offrir des avantages. Comprendre l’étendue de l’infrastructure numérique des sociétés contemporaines est nécessaire pour combattre les dérives, depuis les actions sur les individus (traçage, influence…) jusqu’à l’utilisation absurde et inconsidérée des ressources naturelles et énergétiques pour nourrir des intelligences artificielles, base des nouvelles formes d’exploitation du capitalisme numérique.

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